La jeune fille rangée
Figurez vous que devant le peu de motivation que m’apporte mon projet (je sais j’avais dit que je vous en parlerai, franchement, je n’ai pas eu le courage de me lancer dans la description de cette organisation paternaliste et familiale, des petits garnements qui vous font péter un plomb et d’une minute à l’autre vous enchantent, de la fibre éducative que décidément je n’ai pas.) Mais voilà, je vous ai touché un mot de mes envies futures, être interprète, ça prend forme dans ma tête, et plus j’y pense et plus ça me va comme un gant. Alors j’investis mon énergie débordante dans le roumain, le français, l’espagnol, la grammaire, la conjugaison, l’histoire et la littérature. Et comme ce type d’investissement n’arrive jamais seul, je me trouve à combler mes grosses lacunes en littérature française. En ce moment je suis dans Simone de Beauvoir, comme vous l’aurez deviné (ou pas, oui je me moque). Bon, je lis son Goncourt, Les mandarins (quand je pense que Houellebecq a eu le Goncourt cette année je suis révoltée).
Et comme toujours avec Simone, elle me révolutionne. Histoire donc, d’un groupe d’amis intellectuels de gauche à la sortie de la guerre en 44. Leurs contradictions, leurs convictions, leurs doutes, leurs sentiments. Le tout tellement imbriqué avec l’Histoire vu que ya pas le choix. Henri, un des protagonistes, vient de découvrir que l’URSS est susceptible d’avoir ses propres camps de l’horreur. Je vous cite la dernière page : « Il se rendait compte que jamais il ne l’avait sérieusement mise en question ; les tares, les abus de l’URSS, il les connaissait : n’empêche qu’un jour le socialisme, le vrai, celui où se réconcilieraient justice et liberté finirait par triompher en URSS, et par l’URSS ; si ce soir cette certitude le quittait, alors tout avenir sombrerait dans les ténèbres : nulle part ailleurs on n’apercevait même un mirage d’espoir. « Est-ce pour ça que je me réfugie dans le doute ? se demanda-t-il ; est-ce que je refuse l’évidence par lâcheté, parce que l’air ne serait plus respirable s’il n’y avait plus un coin de la terre vers lequel on pût se tourner avec un peu de confiance ? Ou au contraire, pensa-t-il, c’est peut être en accueillant avec complaisance les images d’horreur que je triche. Faute de pouvoir me rallier au communisme, ça serait un soulagement de le détester résolument. Si seulement on pouvait être tout à fait pour, ou tout à fait contre ! Mais pour être contre il faudrait avoir d’autres chances à offrir aux hommes : et c’est trop évident que la révolution se fera par l’URSS ou ne se fera pas. Pourtant si l’URSS ne fait que substituer un système d’oppression à un autre, si elle a rétabli l’esclavage, comment lui garder la moindre amitié ?... » « Peut être que le mal est partout » se dit Henri.»
Voilà. Le vide dont je parle en pointillé, c’est à peu près ce que ressent ce personnage. Peut être que le mal est partout, et comment faire si on ne peut se tourner vers nulle part en se disant que c’est le chemin à prendre pour nous autres humains. Peut être que chacun doit d’abord se tourner vers soi même, j’en suis de plus en plus convaincue, mais comment ne pas oublier qu’on reste dans le même bateau… JB, je serai ravie que tu te fendes d’un petit commentaire de ton cru, je t’avoue qu’ils me plaisent énormément. Bises à tous.