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Qui veut gravir la montagne commence par le bas
25 janvier 2008

Réflexions

Un petit post un peu sérieux, qui n’a encore rien à voir avec la suite de mon voyage… Il se trouve que je suis en Bolivie depuis 5 mois maintenant. Au bout de deux, j’ai accepté ma vie ici, quelques temps après, j’ai compris de façon un peu moins confuse les raisons profondes et multiples qui m’ont amenée ici. Elles sont trop intimes pour que je vous explique tout ça ici et en trois lignes, mais quoiqu’il en soit, être loin de tout, et pourtant être ici m’a permis de comprendre mieux ce qui embrouillait mon cerveau depuis un petit moment maintenant. Alors maintenant que tout ça est passé, je commence un peu à m’ouvrir à ce pays, à tenter de le comprendre, de l’apprécier… et ça n’est pas facile. Non sincèrement, lorsqu’on y vit, ça n’est pas toujours simple d’aimer la Bolivie.

La paperasserie qui n’en finit pas, l’insécurité latente qui vous débusque quand vous ne l’attendiez plus, les regards de dédain envers la blancheur de ma peau et mon accent d’ailleurs, cette utilisation tous les jours plus choquante de la pseudo richesse que m’octroie d’office ma nationalité, ces sifflements mesquins masculins, ce classement dont je fais l’objet quand on me balance un « gringa » bien cinglant au détour d’une rue…

Et puis pourtant, face à cela, existe une curiosité sans borne de la part de ceux qui n’auront sans doute jamais la chance de traverser l’Atlantique, des questions naïves, émerveillées, semblables à celles qui m’ont tellement marquée à mon retour d’Afrique dans la cour de récré du collège… qui m’ont même énervée pour tout avouer…

L’Europe est ici vue comme un Eldorado où chacun est heureux, riche, a un travail et une grande et belle maison… L’Amérique du Sud et la Bolivie en particulier restent dans l’esprit français le pays de la drogue et des latinos avec leur inimitable bagou dragueur… Tout comme l’Afrique reste le pays des lions, de la brousse et des noirs à l’accent des indigènes de Tintin au Congo… Alors je me rends compte que j’avais tort, plus jeune, de m’énerver contre les enfants qui n’avaient pas eu la chance de voir ce que j’avais vu, de vivre ce que j’avais vécu… 

Seulement il y a une chose, avec laquelle je me débats tant bien que mal depuis des années et des années, depuis mon retour d’Afrique précisément, où je m’engueulais avec mes copains d’alors qui ne finissaient jamais leurs assiettes à la cantine en leur reprochant tous ces petits africains qui mourraient de faim, chose que, comme chacun sait, je ne suis jamais en mesure de faire maintenant, ni à la maison, ni au restau, malgré les efforts de ma mère… Je me revois, il y a des années maintenant, marchant sous les étoiles dans la campagne ardéchoise, pleurant amèrement sur ma chance d’être née ici, sur la malchance de ceux qui n’ont pas le bon passeport, qui se battront toute leur vie pour pouvoir manger, dormir, exister. Je me rappelle aussi les paroles de mon père face à ces angoisses, « Tu ne peux pas prendre toute la misère du monde sur ton dos Marie… ». Je me rappelle ma décision de vouloir faire ce métier, faire partie de toutes ces asso qui font ce qu’elles peuvent pour apporter un peu d’aide à ceux qui en ont le plus besoin…

Le choix de la Bolivie pour ce premier voyage au bout du monde toute seule n’est pas un hasard… Je savais confusément qu’il fallait que je « règle » tout ça… Que je cesse de m’effondrer devant les enfants qui tendent la main, que j’enlève de mes épaules cette écrasante responsabilité qui m’étouffait.

Je me rappelle aussi, confusément, sans trop bien comprendre pourquoi elles me prenaient si fort, mes colères contre ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans un pays où la pauvreté se croise à tous les coins de rue, qui débattaient de grandes heures pour dire toute l’immense responsabilité de l’Occident dans la merde actuelle des pays du Sud… Je me rappelle une crise explosive de mon voyage en Amérique du Sud l’année dernière, où une amie française se lamentait de tout ce que « nous » avions foutu comme bordel sur ce continent… Sujet tabou et jamais abordé avec personne, que je renfermais dans moi-même comme un secret trop lourd à porter pour le dire… La misère, les misères puisque la misère française me touche d’une façon radicalement opposée, la responsabilité occidentale, la chance de ma naissance, une somme de choses qui englobait l’histoire du monde et la mienne, qui me mettait profondément mal à l’aise et me rendait ultra sensible à certaines phrases, à certaines images, à certains faits, sans que je sache vraiment pourquoi, sans que je comprenne ces réactions violentes et contadictoires que je pouvais avoir parfois...

Etre ici m’a aidée à comprendre, m’a aidée à accepter l’inacceptable, à vivre sans honte, à ne pas ignorer les mendiants sans toujours leur céder. L’utilisation faite de notre tête de riches m’a aussi enseigné plus que cela… Tant que nous seront considérés ainsi, une partie d’entre  nous continuera d’avoir cet esprit colon qui sévit encore parmi bon nombre de touristes européens et américains. Ce fameux paternalisme ambiant qui continue de penser, plus subtilement qu’il y 50 ans, que l’Europe est le modèle à suivre… Je me rends compte que cela est à double sens… Cela rejoint un de mes vieux post à propos du marchandage… Le principe de la vache à lait occidentale à qui on indique un prix deux fois supérieur juste parce qu’elle est blanche. Une mise à l’écart du système local pour cause de nationalité qui ne fait au fond qu’inciter du coup les occidentaux à agir en tant que bons donneurs de conseils civilisés.

Voilà, les choses s’ordonnent dans mon esprit… Je comprends mieux mes réactions d’alors, et la connerie monumentale de cette culpabilisation qui me pèse depuis tant d’années.

Un livre a commencé à mettre des mots sur ces pensées. Je me permets de vous en citer un bout. Ces mots sont de Rony Brauman, un des dirigeants de MSF il y a quelques années.

« L’Occident était responsable de la misère du tiers-monde, selon la thèse générale fondée sur un mélange inepte de problèmes vrais et faux : esclavage, dette, pillage colonial, inégalité des termes de l’échange, guerres et répressions impérialistes… Ces réalités mêlées avaient un impact certain, mais expliquer, par exemple, la famine au Sahel du seul fait du colonialisme, de la dette et de l’esclavagisme des peuples était simplement absurde. Même par défaut nous n’avions pas envie d’être les porteurs de ce discours. Il véhiculait une sorte de pensée paternaliste, l’expression d’un penchant colonial transformé en version « politiquement correcte ». L’Occident responsable de tout signifiait l’Occident tout puisant ce que nous réfutions en fait et en droit : il n’avait pas à l’être, d’ailleurs il ne l’était pas. En enfermant les habitants du Sud, Africains, Asiatiques, Latino-Américains, dans la posture univoque de victimes de l’égoïsme et du cynisme des nantis du Nord, ce dolorisme exonérait les peuples de toute responsabilité sur leur propre histoire. Nous récusions cette idée. Au contraire, il fallait que ces pays et ces peuples admettent qu’ils avaient eux-mêmes une responsabilité majeure dans leur développement. »

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